Contravention de participation à une manifestation interdite : extension du domaine de la répression

Par un arrêt du 16 mars 2021[1], la chambre criminelle de la Cour de cassation s’est attachée à suppléer aux lacunes légistiques de la politique criminelle du Gouvernement Macron dans la répression des mouvements sociaux.

Elle entérine ainsi, aux côtés du Conseil d’Etat[2], une politique de réponse pénale systématique et quasi-déjudiciarisée aux contestations sociales de masse que traverse la France du XXIème siècle.

En cause le décret n° 2019-208 du 20 mars 2019 qui a créé une contravention pour participation à une manifestation interdite sur la voie publique et pour laquelle la procédure de l’amende forfaitaire est applicable.

Codifiée à l’article R644-4 du code pénal, cette contravention incrimine « le fait de participer à une manifestation sur la voie publique interdite sur le fondement des dispositions de l’article L. 211-4 du code de la sécurité intérieure ».

Il est prévu que de tels faits soient réprimés de l’amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe, soit 750€, réduits à 135€ en cas de paiement de l’amende forfaitaire simple, 375€ au stade de l’amende forfaitaire majorée.

Saisi en référé par plusieurs syndicats et associations de défense des droits de l’Homme, le Conseil d’Etat avait estimé que « le décret contesté ne portait pas d’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ».

Reste que la délimitation du champ de la répression présentait d’importantes lacunes que la Cour de cassation s’est employée à combler dans son arrêt du 16 mars 2021.

Dans l’espèce soumise au contrôle de la Cour de cassation, un prévenu reprochait au tribunal de l’avoir condamné du chef de participation à une manifestation qui, n’ayant pas été déclarée ainsi que l’impose la loi, n’en avait pas moins été interdite par le préfet.

Au soutien de son pourvoi, le prévenu arguait que le texte de l’article R.644-4 du code pénal réprime le fait de participer à une manifestation sur la voie publique « interdite sur le fondement des dispositions de l’article L. 211-4 du code de la sécurité intérieur ».

Or, la manifestation interdite à laquelle il participait n’ayant pas fait l’objet d’une déclaration préalable en mairie ou en préfecture conformément aux dispositions des articles L.211-1 et L.211-2 du code de la sécurité intérieure, le prévenu soutenait que l’interdiction de la manifestation n’était pas fondée sur les dispositions de l’article L.211-4 du code de la sécurité intérieur et qu’en conséquence, l’infraction n’était pas valablement constituée.

Il était en effet légitime de penser qu’en une telle hypothèse, c’est-à-dire lorsqu’il interdit une manifestation non déclarée pour risque de trouble à l’ordre public, le maire ou le préfet de police use de son pouvoir de police propre qu’il tient des dispositions du Code général des collectivités territoriales (CGCT) et non des dispositions particulières du Code de la sécurité intérieure (CSI).

C’est d’ailleurs ce qui semblait se dégager de la jurisprudence du Conseil d’Etat qui juge que le Préfet peut prendre « une mesure d’interdiction [d’une manifestation non déclarée] légalement justifiée par la nécessité du maintien de l’ordre public »[3].

En effet, aucun arrêt de la jurisprudence administrative n’avait jusqu’à présent – et à notre connaissance – fondé le pouvoir général d’interdiction d’une manifestation de l’autorité de police sur le texte de l’article L.211-4 du Code de la sécurité intérieur.

Le contrevenant à une interdiction de participer à une manifestation non déclarée aurait donc dû se voir appliquer les dispositions de l’article R.610-5 du code pénal qui punit d’une amende de la première classe « la violation des interdictions ou le manquement aux obligations édictées par les décrets et arrêtés de police ».

Ce n’est pourtant pas la position retenue par la Cour de cassation qui, pour contourner cette difficulté et suppléer aux lacunes du décret du 20 mars 2019 ayant instauré la contravention de participation à une manifestation interdit , a jugé dans son arrêt du 16 mars 2021 que « l’autorité de police compétente peut toujours interdire, par arrêté pris sur le fondement de l’article L. 211-4 du code de la sécurité intérieure, une manifestation soumise à déclaration, dès lors qu’elle estime que la manifestation projetée est de nature à troubler l’ordre public, peu important que celle-ci ait fait ou non l’objet d’une telle déclaration. »


Matteo BONAGLIA (Avocat à la Cour) et Louis SAADAT-TARRAGANO (stagiaire)


[1] Pourvoi n°20-85.603

[2] CE – Ordonnance du 29 mars 2019 – req. n°429028

[3] CE, 25 juin 2003, req n°223444, Association S.O. S. TOUT PETITS | v. égal. Jurisclasseur Administratif Fasc. 210 : police des réunions et manifestations, spéc. n°154 et s.